NELSON MANDELA a rejoint ses ancêtres... "Comportons-nous avec la dignité et le respect que Madiba personnifiait"
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Nelson Mandela, héros la lutte contre le régime raciste d'apartheid et premier président noir de l'Afrique du Sud démocratique, est mort jeudi à l'âge de 95 ans, a annoncé le chef de l'Etat Jacob Zuma à la télévision.INTERNATIONAL "C'est un moment de profond chagrin. Nous t'aimerons toujours Madiba."
"L'ex-président Nelson Mandela nous a quittés (...) il est maintenant en paix. La Nation a perdu son fils le plus illustre", a déclaré le président Zuma lors d'une intervention en direct peu après 22h30.
"Il s'est éteint en paix (...). Notre peuple perd un père", a-t-il ajouté avant d'annoncer que les drapeaux seraient mis en berne à partir de vendredi et jusqu'aux funérailles d'Etat dont il n'a pas annoncé la date.
"Exprimons la profonde gratitude pour une vie vécue au service des gens de ce pays et de la cause de l'humanité", a-t-il enchaîné. "C'est un moment de profond chagrin (...) Nous t'aimerons toujours Madiba".
"Comportons-nous avec la dignité et le respect que Madiba personnifiait", a ajouté M. Zuma, qui a utilisé le nom de clan du héros de la lutte contre l'apartheid, un nom utilisé familièrement par tous les Sud-Africains pour désigner leur idole.
Icône mondiale de la réconciliation
Mandela a été tour à tour un militant anti-apartheid obstiné, le prisonnier politique le plus célèbre du monde et le premier président noir de l'Afrique du Sud où il fait l'objet d'un véritable culte de la personnalité qu'il n'a jamais vraiment souhaité.
Chef de file de la lutte des Noirs contre le régime raciste blanc qui s'ingéniait à institutionnaliser la ségrégation en Afrique du Sud, Mandela, âgé de 95 ans, a passé vingt-sept ans en détention, de 1964 à 1990.
Derrière les barreaux, il est devenu le symbole de l'oppression de son peuple, tandis que le monde entier manifestait et organisait des concerts pour sa libération.
Mais avant même d'être libéré, il a appris à comprendre ses adversaires - allant jusqu'à apprendre leur langue, l'afrikaans, et leur poésie -, à pardonner, et à travailler avec eux. Ce qui lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1993, partagé avec le dernier président de l'apartheid, Frederik De Klerk.
L'archevêque Desmond Tutu, autre figure de la lutte anti-apartheid et prix Nobel, l'a qualifié d'"icône mondiale de la réconciliation", ayant réussi le tour de force de faire sans trop de heurts de son pays une démocratie multiraciale et relativement stable.
Sous les couleurs du Congrès national africain (ANC), Mandela a été le premier président de la nouvelle "nation arc-en-ciel", de 1994 à 1999.
Grand amateur de femmes et boxeur
Nelson Rolihlahla Mandela est né le 18 juillet 1918 dans le petit village de Mvezo, dans le Transkei (sud-est) au sein du clan royal des Thembu, de l'ethnie xhosa.
Il a ensuite déménagé dans le village voisin de Qunu, où il a passé, dira-t-il, ses "années les plus heureuses" --une enfance libre à la campagne peut-être idéalisée--, avant de recevoir une bonne éducation.
Si son institutrice l'a nommé Nelson, son père l'avait appelé Rolihlahla ("celui par qui les problèmes arrivent", en xhosa). Et Mandela a très tôt manifesté un esprit rebelle.
Etudiant, il est exclu de l'université de Fort Hare (sud) après un conflit sur l'élection de représentants étudiants, avant de fuir sa famille à 22 ans pour échapper à un mariage arrangé.
Arrivé à Johannesburg, le bouillant jeune homme prend vraiment la mesure de la ségrégation dont sont victimes les gens de couleurs. Il rencontre Walter Sisulu, qui devient son mentor et plus proche ami, le faisant entrer à l'ANC.
Grand amateur de femmes et boxeur à ses heures, il fait alors plusieurs petits boulots, entreprenant des études pour devenir avocat.
Vingt-sept années de prison
Avec Oliver Tambo et d'autres jeunes loups, il fonde la Ligue de la jeunesse de l'ANC et prend rapidement les rênes d'un parti jugé trop mou face à un régime qui a institutionnalisé l'apartheid en 1948.
Après l'interdiction de l'ANC en 1960, Nelson Mandela, arrêté à plusieurs reprises, passe dans la clandestinité. C'est lui qui préside à la fondation d'une branche armée de l'ANC.
Arrêté de nouveau en 1962, il est condamné à la prison à vie deux ans plus tard.
Pendant son procès, il prononce une plaidoirie en forme de profession de foi: "J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J'espère vivre assez longtemps pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir."
Il a passé ensuite dix-huit de ses vingt-sept années de prison dans le bagne de Robben Island, une petite île au large du Cap.
Son régime de détention, draconien, s'est assoupli dans les dernières années, pendant lesquelles il a noué des contacts secrets avec un régime de l'apartheid de plus en plus aux abois.
Héros mythique, intouchable
Le "détenu 46664" dont personne ne connaissait plus le visage, est finalement libéré le 11 février 1990. La photo de sa sortie de prison aux côtés de son épouse Winnie, égérie de la résistance au régime, fait le tour du monde.
L'Afrique du Sud frôle alors la guerre civile, mais les adversaires d'hier réussissent à s'entendre pour organiser des élections démocratiques le 27 avril 1994. Elles sont largement remportées par l'ANC.
Adulé par les Noirs, gagnant peu à peu l'affection de Blancs médusés par son absence d'amertume, le président est devenu pour une nation entière "Madiba", son nom de clan et surnom affectueux.
En 1998, le jour de ses 80 ans, il a épousé en troisièmes noces Graça Machel, veuve de l'ancien président mozambicain Samora Machel.
Mandela a pris sa retraite en 1999 et s'est retiré peu après de la vie publique, partageant son temps entre Johannesburg et Qunu. Avec quelques séjours à l'hôpital pour soigner notamment une infection pulmonaire probablement liée à la tuberculose contractée en prison.
Invisible en public depuis 2010, il est devenu une sorte de héros mythique, intouchable, invoqué tant par le pouvoir que par l'opposition, et sourit chaque jour à tous ses compatriotes... sur les billets de banque.
Les mots du militant, du prisonnier, du chef d'Etat
Nelson Mandela, décédé jeudi à l'âge de 95 ans, a semé sa vie de réflexions qui seront ses épitaphes, dans la lutte clandestine, puis à la tête de l'Etat et jusque dans sa retraite politique. En voici quelques unes: - "Je ne suis pas né avec une faim de liberté. Je suis né libre - libre de toutes les façons que je pouvais connaître. Libre de courir dans les champs près de la hutte de ma mère, libre de nager dans le ruisseau clair qui traversait mon village, libre de faire griller du maïs sous les étoiles et de monter sur le dos large des boeufs au pas lent (...) Ce n'est que lorsque j'ai appris que la liberté de mon enfance n'était qu'une illusion, qu'on m'avait déjà pris ma liberté, que j'ai commencé à avoir faim d'elle." (Autobiographie)
- "J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J'espère vivre assez longtemps pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir." (1964, présentant sa défense lors du procès de Rivonia, qui allait le condamner à la prison à vie)
- "J'ai l'impression que toutes les parties de mon corps, chair, sang, os et âme ne sont plus que de la bile, tant mon impuissance absolue à te venir en aide dans les moments terribles que tu traverses me rend amer." (Lettre à sa femme Winnie datée du 1er août 1970, citée dans une compilation de ses écrits parue en 2010, "Conversations avec moi-même")
- "Je décidai de ne dire à personne ce que j'étais sur le point de faire... Il y a des moments où un leader doit s'avancer au-devant du troupeau, partir dans une nouvelle direction, avec la confiance qu'il mène son peuple sur le bon chemin." (Autobiographie, racontant sa décision en 1985 d'entamer, en captivité, des pourparlers préliminaires avec le régime d'apartheid.)
- "Je me tiens devant vous non comme un prophète, mais comme votre humble serviteur à vous, le peuple. Vos sacrifices infatigables et héroïques ont rendu possible ma présence ici aujourd'hui. Je place en conséquence les années restantes de ma vie entre vos mains." (11 février 1990, discours du balcon de l'hôtel de ville du Cap, quelques heures après sa libération après plus de vingt-sept ans de détention)
- "De l'expérience d'un extraordinaire désastre humain qui a duré trop longtemps doit naître une société dont toute l'humanité sera fière... Jamais, jamais, plus jamais ce magnifique pays ne devra connaître l'oppression d'un homme par un autre." "Nous forgeons une alliance qui nous fera bâtir une société dans laquelle tous les Sud-Africains, noirs et blancs, pourront marcher la tête haute, sans peur dans leur coeur, assurés de leur droit inaliénable à la dignité humaine - une Nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et le monde." (10 mai 1994, discours d'investiture de président)
- "Je savais parfaitement que l'oppresseur doit être libéré tout comme l'opprimé. Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de sa haine, il est enfermé derrière les barreaux de ses préjugés et de l'étroitesse d'esprit. (...) Quand j'ai franchi les portes de la prison, telle était ma mission: libérer à la fois l'opprimé et l'oppresseur." (Autobiographie)
- "Quelles qu'aient été ses erreurs, et il en a fait beaucoup, il a sa place dans l'Histoire. Sans son soutien (au processus de négociations), nous n'aurions jamais fait la paix." (Son jugement sur le bilan du dernier président du régime de l'apartheid, Frederik de Klerk)
- "Mon plus grand regret dans la vie est de n'être jamais devenu champion du monde poids lourds de boxe." (1998)
- "Si je n'avais pas été enfermé en prison pendant vingt-sept ans, je ne sais pas si j'aurais été aussi bon avec les enfants. Mais vingt-sept ans sans voir des enfants, c'est une expérience terrible." (2003, réflexion sur son oeuvre au profit de l'enfance)
- "Etre amoureux est une expérience que chaque homme doit connaître. Pour moi, c'est une expérience extraordinaire. On devrait être reconnaissant de vivre une expérience pareille." (1997, sur sa liaison naissante avec Graça Machel)
- "Toutes les composantes de la nation travaillent à construire notre pays et à en faire un miracle. C'est ce qui me fait espérer quand je vais me coucher. Je ne doute pas un seul instant que lorsque j'entrerai dans l'éternité, j'aurai le sourire aux lèvres." (1997, réflexion sur les réalisations accomplies depuis la fin de l'apartheid)
- "L'un des problèmes qui m'inquiétaient profondément en prison concernait la fausse image que j'avais sans le vouloir projetée dans le monde: on me considérait comme un saint. Je ne l'ai jamais été, même si l'on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s'améliorer." (Interview au Sunday Times, citée dans "Conversations avec moi-même")
- "Nous devons nous rappeler que notre première tâche est d'éradiquer la pauvreté et d'assurer une meilleure vie à tous." (2009, message vidéo diffusé lors d'un meeting électoral de l'ANC, sa dernière intervention politique)
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