Interdire le voile intégral est licite
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé
qu’interdire le voile intégral ne porte pas atteinte aux droits des femmes
concernées.
L’arrêt, déroulé sur soixante-six pages, est longuement
motivé. Il a été tout autant mûri: l’affaire a été plaidée devant la Grande
Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 27 novembre
dernier.
Sa portée dépasse largement le cadre du dossier à la cause:
l’État belge s’y était joint «en tierce intervention», en raison
des «importantes similitudes» entre la loi du 1er juin 2011 et
la loi française du 11 octobre 2010, qui interdit le port public du voile
intégral. Une interdiction qui ne viole ni la vie privée et familiale, ni la
liberté de pensée, de conscience et de religion des femmes concernées, et qui
n’est pas non plus discriminatoire. Ainsi l’a décrété la CEDH.
La cour avait été saisie par une avocate de 24 ans de son
recours contre la loi française. La requérante affirmait ne subir «aucune
pression» familiale, et accepter les contrôles d’identité. Mais elle
disait vouloir rester libre de porter le voile intégral à sa guise, en public
comme en privé.
L’origine «religieuse, politique, ou traditionnelle» de
cette pratique, apparue chez nous il y a une dizaine d’années, n’est pas en
cause, avait plaidé l’État belge. Mais sans doute n’est-il pas indifférent de
noter que neuf des dix femmes portant le voile intégral sont âgées de moins de
40 ans et qu’une sur quatre est une convertie.
Préserver le «vivre ensemble»
Surtout, le port du voile intégral pose problème sous
l’angle de la sécurité publique, de l’égalité entre femmes et hommes, et les
conditions du vivre ensemble, avait relevé la porte-parole de l’État belge.
La cour ne retient pas l’argument de la sécurité publique:
pareille interdiction générale ne serait proportionnée qu’en raison d’une
menace générale contre la sécurité publique, note l’arrêt.
Le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes, et
le respect de la dignité humaine ne sont pas plus retenus par la Cour
européenne des droits de l’homme.
Par contre, le voile intégral peut porter atteinte au vivre
ensemble, disent les juges de Strasbourg, qui comprennent «le point de
vue selon lequel les personnes qui se trouvent dans les lieux ouverts à tous
souhaitent que ne s’y développent pas des pratiques ou des attitudes mettant
fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles
ouvertes ( … ) élément indispensable de la vie en société».
Rien n’empêche, notent-ils, les femmes concernées de porter
des habits ou éléments vestimentaires conformes à leur foi, mais qui ne
masquent pas entièrement leur visage. Et la sanction prévue par la loi
française (150 euros d’amende maximale ou un stage de citoyenneté) est «des
plus légères que le législateur pouvait envisager».
La loi, et partant la loi belge, relève donc bien de la «marge
d’appréciation» des États conclut la cour. Sans violer les droits de
la plaignante. Ni d’aucune femme.
Vivre ensemble…
La Cour européenne des droits de l’homme a mis six mois
pour légitimer l’interdiction du port public du voile intégral. Son arrêt
pourrait encourager des États européens à imiter la France et la Belgique qui
l’ont décrétée.
Mais le texte stigmatise aussi l’islamophobie ambiante:
il privilégie le «vivre ensemble».
La question est extrêmement sensible. Raison pour laquelle les
juges strasbourgeois ont mis autant de temps à étayer leur argumentation. Ils
l’ont voulue indiscutable sur le plan du droit. Mais ils n’ont pas éludé le
contexte politique. Seules, la France et la Belgique ont légiféré jusqu’à
présent, ont-ils noté, «mais la question du port public du voile intégral a
été ou est matière à débat dans plusieurs États européens». Dont certains,
peut-être, attendaient leur décision pour prendre la même initiative.
Ils ne pourront le faire au nom de la sécurité publique:
hors cas de menace globale, une interdiction générale du port public du voile
intégral ne se justifie pas, précise l’arrêt. A l’inverse, exiger le
dévoilement du visage pour l’établissement ou le contrôle de documents
d’identité est tout à fait légitime.
C’est précisément un contrôle d’identité qui, il y a
quelques mois, a été à l’origine d’incidents violents à Molenbeek. La stratégie d’une
frange très minoritaire de la communauté musulmane était de se saisir de cette
loi pour susciter la tension. Et provoquer une réaction islamophobe qui
toucherait tous les croyants.
L’arrêt de la cour strasbourgeoise entend enrayer ce
processus. «Le pluralisme, la tolérance, et la largeur d’esprit sont
les piliers d’une société démocratique», rappelle-t-il. Et il appartient
aux États «d’assurer les conditions dans lesquelles les individus
peuvent vivre ensemble dans leur diversité». Au besoin en interdisant le
port public du voile intégral, parce qu’il «affecte l’interaction entre
individus».