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Squatter une maison vide et abandonnée : au-delà des apparences, à Namur, un exemple de projet politique au coeur duquel chacun(e) a une place ! (Indignations !?)

Ils sont deux à nous recevoir. La presse, ce n’est pas leur truc. «On a déjà eu de mauvaises expériences», explique l’un d’eux. Calmes, gentils et extrêmement posés, les deux jeunes ont envie de s’exprimer, mais ont peur à l’idée que leurs propos soient déformés. La confiance s’installe peu à peu. Mercredi dernier, cinq squatteurs étaient expulsés, chaussée de Louvain, pour des raisons de sécurité. De retour «chez eux», nous les avons rencontrés.
Ils ont mal vécu l’intrusion de la police dans «leur» maison. «On a pensé que c’était une démonstration de force, un entraînement. Disproportionné.»
Voilà deux ans, le propriétaire a abandonné la maison, sans jamais demander son reste. Les jeunes trouvent légitime de l’occuper, en riposte à la crise du logement.
Derrière cette maison «recolonisée» se cache un projet de vie, une structure, des idées. Et ces jeunes-là en ont dans la caboche.
«C’est en février qu’on est arrivé dans cette maison, explique l’un des occupants qui souhaite rester anonyme. Nous étions un groupe de gens à chercher un endroit pour nous loger. Sur Namur. On avait vu cette maison vide et abandonnée. Elle se détériorait. Nous avons trouvé légitime de nous y installer.»
Pas le monde des Bisounours
Lorsqu’ils ont pris possession des lieux, un mois a été nécessaire pour remettre la maison en état, la nettoyer. Pièce par pièce, la maison a été remise à neuf par le collectif appelé «Caracole-neur». «Lorsque nous sommes arrivés, nous avons écrit une lettre aux voisins, pour leur expliquer notre projet.»
Un projet qui vise une vie en autonomie, une vie en autogestion. «On prend les décisions de manière horizontale. Ici, on souhaite que chacun trouve sa place, quelles que soient ses origines ou la taille de son portefeuille.» Régulièrement, des réunions sont provoquées pour mettre les choses au point. «Parfois ça pète, ça gueule il a des portes qui claquent. Ce n’est pas le monde des Bisounours. C’est ça tout l’art de vivre ensemble. Chacun a le droit de s’exprimer. On n’accepte pas l’irrespect, la violence morale et physique, les comportements racistes, homophobes et sexistes.»
Le projet d’ouvrir cette maison est né d’un constat. «On s’est rendu compte qu’à Namur il ne se passe rien avec les maisons abandonnées. On a donc décidé d’ouvrir un espace différent, continue le deuxième jeune. Nous avions déjà vu ça ailleurs. Ce lieu reflète nos idées. Ici, tout le monde est le bienvenu, dans la limite de l’espace disponible. On organise des activités. On a déjà fait des concerts, avec une entrée prix libre. Chacun met ce qu’il veut, en fonction de ses moyens. Mais sans nuire à nos voisins. On les prévient. On les a même déjà invités à un souper. On a envie de rendre le quartier vivant, car plein de gens ne connaissent pas leurs voisins. S’ils peuvent se rencontrer ici, pourquoi pas? Tout le monde discute sur Internet. Ici, on a créé un espace où tout le monde parle, sans intermédiaire.»
Recherche de sens
Âgés d’une petite vingtaine d’années, ces deux jeunes ont une philosophie de vie bien réfléchie. Loin d’être hors de la réalité. Pour eux, tout doit avoir un sens. «Notre idée, c’est de nous déposséder de l’argent. Sortir des relations purement commerciales. Où il est juste question de profit et de perte. Si on met nos énergies en commun, on est beaucoup plus forts.»
En tout, ils sont six à occuper cette maison. Parmi leurs projets, un potager, un magasin gratuit, des projections ou encore la création d’un blog.
«Personnellement, j’ai développé une pensée critique sur tout ce qui m’entoure au fil de mes expériences de vie, continue l’un des habitants. Pourquoi aller faire des courses, alors que j’ai un énorme jardin? Pourquoi aller au supermarché acheter des légumes qui vont m’empoisonner? Il faut que tout cela ait du sens. La plupart des gens qui travaillent, à l’usine ou ailleurs, sont dépossédés du sens de ce qu’ils font.»
Leur combat: vivre sans «chefs». «Il y a une catégorisation des gens, on doit rentrer dans des cases. Ce qui engendre un phénomène d’exclusion. Les lois sont faites par des riches pour des riches. On exclut les gens hors de beaux quartiers pour éviter de se faire péter le cuir par des bouseux.»
Dans cette maison, plusieurs refusent d’avoir accès au chômage. «Certains travaillent. Moi, j’ai un peu d’argent de côté. Pour le reste, je m’autofinance». Et son copain d’ajouter: «On n’a pas besoin de 1400€ par mois pour vivre si on est bien organisé. Ici, par exemple on n’a pas besoin de six ordis. »
«La politique, on la fait ici, et maintenant»
Dans leur maison, sorte de caverne d’Ali Baba, les jeunes sont conscients que leur projet va évoluer.
«On n’a pas un mode de vie parfait. On n’exclut pas plus tard d’avoir un niveau de confort un peu supérieur. Mais notre vision de l’autonomie, de l’autogestion va rester. Ce sont juste nos clés de lecture qui sont différentes. On reste ouverts à énormément de choses. On fait partie de la société. Pour nous, au-delà de la parole, il faut passer à la pratique.»
Leur mode de vie, la façon dont ils s’organisent, pour eux, c’est ça la politique. «On n’est pas des philosophes de comptoir. La politique, on la fait ici et maintenant. La politique, c’est le contraire de l’impuissance. Le bourgmestre par exemple, ça, c’est du spectacle. Quand on sort du spectacle, on commence à agir, les choses deviennent intenses. Pas besoin de jouer un rôle.»
Alors, question. Dans le fond, ces jeunes sont-ils vraiment heureux? «C’est une bonne question, sourit l’un d’eux. Ce n’est pas facile tous les jours. Mais je choisis mes contraintes, elles sont porteuses de liberté. On n’est pas heureux tous les jours, ce n’est pas toujours facile. Faire le potager par exemple, c’est une contrainte, mais je sais pourquoi je le fais.»
(Source : Lavenir : Aurélie Moreau - 29 09 2014)
  • Source: lavenir
  • Aurélie MOREAU

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