La presse racoleuse : "Le juge Christian PANIER est un sale pédophile !" (Indignations !?) Le regard d'un autre juriste...
Chouette comme titre ! Bien accrocheur à la Sud Presse … Le but est atteint : votre attention a été attirée. Et après ?
Le juge PANIER, qui fut notamment le Président du Tribunal de première instance de Namur, est-il réellement un sale pédophile ?
Et pourquoi se poser cette question ? Une question ? Non, ce n’en est pas une : c’est une affirmation ! Une certitude, même !
C’est en effet ce que j’ai lu à maintes reprises dans les commentaires de nombreuses personnes qui ont estimé devoir réagir lorsque la presse a signalé à ses lecteurs que l’intéressé accueillait Michèle MARTIN chez lui.
S’il la reçoit chez lui, c’est forcément qu’il est pédophile, lui aussi. Ou alors il couche avec elle. Ou alors c’est parce qu’elle est protégée par la Justice. D’ailleurs, il n’y a pas de Justice en Belgique. C’est bien connu. Tous des pourris, tous des corrompus, même les juges à la retraite qui n’ont plus aucun pouvoir. Faut-il être bête, quand même, pour corrompre un juge qui n’exerce plus cette fonction depuis plusieurs années ! Mais bon, c’est une autre question.
Ceci dit, qu’est-ce qui lui est passé par la tête, à ce juge qui n’en est plus un ?
Vous voulez connaître la réponse à cette question ? Et bien je ne vous la donnerai pas, parce que je ne suis pas Christian PANIER. Lui seul connaît la réponse. Et comme il n’en a aucunement honte, ce salaud, il la donne, cette réponse : parce que c’est conforme à mes valeurs chrétiennes, même si je ne crois plus en Dieu depuis longtemps.
Des valeurs chrétiennes ? C’est Koi ce truc ? Le pardon, la compassion, la bienveillance … vous savez, toutes ces petites choses dont on nous rabat les oreilles mais qui, la plupart du temps, se résument à des paroles creuses et non à des actes ?
Je ne connais pas Christian PANIER. Enfin si, quand même un peu. En tant qu’avocat au Barreau de Namur, ce serait quand même dommage de ne rien savoir de celui qui a présidé pendant plusieurs années le Tribunal de première instance de cet arrondissement.
J’ai même eu l’occasion de lui parler, parfois. Cela ne me donne ni le droit de croire que je connais l’être humain derrière le magistrat, ni celui de le juger.
J’ai néanmoins le souvenir d’un juge parfaitement intègre qui vivait pour la Justice, l’une de ses passions (ou de ses désillusions ?). Quelqu’un qui restait humain, compréhensif à l’égard de l’autre. Un homme qui ne s’autorisait pas à juger un autre homme mais bien, le cas échéant, les actes, les comportements de cet homme, en veillant à rester juste. Non, pas seulement « juste » : Juste, avec un grand J.
C’était un très bon juriste mais cela, on s’en fout car ce n’est pas suffisant pour faire de l’homme un bon juge : il était aussi et surtout un bon juge, non obnubilé par le pouvoir de juger mais bien par le souci de rester humain. Toujours. Sans mépris. N’est-ce pas cela que l’on est en droit d’attendre de la Justice ?
Certes, on pouvait ne pas être d’accord avec lui. Sans doute que, comme tous les magistrats, il a rendu des jugements moins « bons » que d’autres. Mais il l’a toujours fait avec conviction, bonne foi et intelligence. Jamais un jugement absurde ou ridicule ou, pire encore, bâclé. Et ça, ce n’est pas le cas de tout le monde.
Il m’est donc permis de douter, mais cela n’engage que moi, que cet homme-là soit subitement devenu un sale pédophile qui protège sa future maîtresse.
Je vois plutôt dans sa décision une certaine cohérence à l’égard de celui qu’il est ou, à tout le moins, à l’égard de l’image qu’il m’a laissée de lui.
La Justice a condamné Michelle MARTIN. La Justice a estimé, sur base d’un tas de pièces que la plupart des commentateurs du dimanche n’ont évidemment jamais vues (il est tellement plus facile de juger selon ses croyances, intelligentes ou non), que l’intéressé avait purgé sa peine et qu’elle avait le droit de bénéficier d’une libération conditionnelle. Conditionnelle, cela signifie, au cas où on l’oublierait, sous conditions.
Quoi, c’est pas bien ? C’est quoi qui n’est pas bien ? Le fait de ne pas l’avoir condamnée à mort ? Le fait de ne pas l’avoir condamnée à une peine plus sévère ? Peut-être mais, au fond, c’est qui a prononcé cette peine ?
Ah oui, je me rappelle, la Cour d’assises. C’est quoi une Cour d’assises ? Des jurés, des gens comme vous et moi, tirés au sort. Ce sont donc les citoyens qui ont décidé de prononcer cette peine. Vous et moi. Pas un juge professionnel sur son piédestal. Vous et moi. Comment cela, non, pas vous ? Vous, vous êtes certainement plus intelligent(e) que les « monsieur et madame tout le monde » qui ont siégé pendant de nombreuses semaines. Vous, vous n’avez pas vu les pièces du dossier, vous n’avez pas entendu les accusés, vous n’avez pas entendu les parties civiles, vous n’avez pas entendu le Procureur du Roi … mais vous savez sans doute mieux que ceux qui étaient là ce qu’est une peine juste pour cette dame. Ben voyons.
Oui mais elle n’est pas allée au bout de sa peine ! C’est scandaleux ! Oui, peut-être. Mais pourquoi ? Parce que l’on estime que tout être humain est susceptible de prendre conscience de ses actes, de s’amender, d’évoluer, de se réinsérer un jour dans la société, quelle que soit la gravité de ses actes. C’est bête, hein ! Et qui a décidé de cela ? Le législateur. Les hommes politiques. Ceux que vous avez élus. Ce sont eux qui décident des lois. Pas les juges. Les juges n’ont qu’un seul pouvoir : appliquer les lois, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. La loi sur la liberté conditionnelle est une mauvaise loi ? Possible. Vous attendez quoi pour voter pour des représentants qui sont prêts à la corriger ou la supprimer ? Non, monsieur, ce n’est pas la faute du Juge PANIER. Lui, il n’a rien eu à dire. Non, madame, il ne s’agit pas de protéger des pédophiles. La loi est la même pour tout le monde. C’est cela, la Justice, justement.
Bref, il faut faire avec ce que l’on a. Michelle MARTIN, je ne le connais pas. Vous non plus, d’ailleurs. Est-ce un monstre ? Oui, peut-être. Ou pas. Est-elle toujours un monstre ? Peut-être, mais sans doute pas. Quoiqu’il en soit, les personnes qui se sont penchées sur son dossier, et qui sont des êtres humains comme vous et moi, pas plus bête que vous (si, si, je vous assure), ont estimé qu’elle pouvait être libérée sous conditions.
Reste à appliquer la mesure. Qui veut bien d’elle ? Pas grand monde … Cela se comprend. Et voilà notre bon juge PANIER qui, soucieux comme il l’a toujours été de respecter la Justice, décide de l’accueillir, non pas dans son lit mais dans un appartement aménagé dans sa maison. Il se dit, l’idiot, que Michelle MARTIN est aussi un être humain et que personne ne sera plus heureux si elle reste croupir dans une prison, même si une majorité de la population pense le contraire.
Oui mais. Elle, elle n’a pas laissé de chance aux filles, à Julie, à Mélissa. C’est vrai. Et elle a été condamnée pour cela. Par vous et moi. On fait quoi alors ? On la laisse en prison ? On l’exécute ? On la laisse mourir de faim ? Cela va vous rendre plus heureux ? Vraiment ? La libérer sous conditions ne nous (vous) empêchera pas de penser que ce qui est arrivé à ces enfants est horrible. Que cela aurait très bien pu être NOS enfants. Oui, c’est vrai et c’est effrayant.
Mais Michelle MARTIN a aussi une maman. Et un papa. Et des enfants. Comme vous et moi. Elle aurait pu être notre fille. Nous pouvons juger ses actes, les détester, en vomir même ! Mais nous ne pouvons pas juger la personne car nous ne sommes pas cette personne. Si nous avions eu son vécu, ses mêmes épreuves de vie, ses faiblesses … nous serions elle et nous serions à sa place. Ben si. Elle a pris de mauvaises décisions au mauvais moment en fonction de ce qu’elle croyait devoir faire. Tiens, n’est-ce pas justement ce que vous faites, vous aussi, en commentant hâtivement l’acte du juge PANIER ? Nous ne sommes pas elle mais nous pouvons, sinon accepter, sinon comprendre son geste, nous pouvons au moins croire en l’évolution de l’être humain qu’elle est et qu’elle reste. On ne comble pas la tristesse de l’être perdu par la vengeance. On ne répare pas la mort d’un enfant par la mise à mort d’un adulte. Même les animaux ne font pas cela dans la nature.
Et c’est le pari du juge Christian PANIER. Michelle MARTIN est un être humain. Il le croit, en tous les cas. Il a raison ? Il a tort ? On n’en sait rien. Peut-être qu’elle n’a pas évolué au fond d’elle. Peut-être que c’est toujours un monstre, à supposer qu’elle l’ait été. Mais peut-être pas, finalement. Et si elle ne l’est pas ou plus, la garder en prison ferait de nous des monstres au même titre qu’elle. Nous ne vaudrions pas mieux qu’elle, en ce cas … Se satisfaire de la mort de quelqu’un, de voir cette personne croupir entre quatre murs … Vous trouverez cela sain, comme motif de satisfaction ? Apprécier le mal fait à autrui ? La prison, oui, s’il s’agit de protéger d’autres être humains. Mais quand il ne s’agit plus de protéger qui que ce soit ?
Conclusion : chacun a le droit de penser ce qu’il veut de Michelle MARTIN. Chacun de nous a le droit de détester cette personne … que nous ne connaissons pas, si ce n’est à travers un acte abject. Chacun de nous a aussi le droit de penser qu’elle aurait dû être condamnée à une peine infiniment plus sévère, qu’il ne devrait pas y avoir de libération conditionnelle pour des gens pareils …
Mais avons-nous le droit de qualifier cet ancien magistrat, qui a le courage de ses opinions et qui a donné sa vie à la Justice, de pédophile, de protecteur ou de corrompu, simplement parce qu’il permet la libération conditionnelle d’un être humain ?
Le pardon, ce n’est pas une des valeurs fondamentales de la société ? Vous préférez la vengeance ? C’est votre droit. Mais moi, je préfère Christian PANIER, même si je ne voterai pas pour le parti dans lequel il s’est engagé (chacun ses convictions, elles sont toutes honorables).
A votre avis, qu’est-ce qui va vous rendre plus heureux ? Laisser Michelle MARTIN mourir de faim dans sa prison, comme Julie et Mélissa, ou faire l’effort de comprendre qu’un être humain, qui est aussi une maman, a pu, un jour, être à ce point désemparée qu’elle a laissé mourir de faim deux adorables petites filles ? Au fond de vous, vous connaissez la réponse … Oui, c’est difficile à comprendre. Vraiment difficile. Et pourtant, c’est ce qui est.
Vous n’y arrivez pas ? Je peux aussi le comprendre. Moi aussi, j’ai beaucoup de mal à faire preuve d’empathie en pareil cas. Mais pour ce qui est du juge ? Est-ce si difficile de comprendre qu’une autre personne puisse avoir une autre vision des choses que vous ? Que vous n’avez pas le monopole de l’intelligence et que ce n’est pas parce que quelqu’un pense différemment de vous qu’il a forcément tort, qu’il est nécessairement idiot ? Il faut du courage pour prendre une telle décision. Christian PANIER a eu ce courage, comme il a eu le courage de dire ce qu’il pensait en tant que juge, quand il l’était encore.
Ce Monsieur a sans doute des tas de défauts, mais il n’a pas celui de l’inintelligence. Alors, qui êtes-vous pour le juger, pour croire que vous savez mieux que lui ce qui est juste ou ne l’est pas ? Qu’est-ce qui vous permet de penser qu’il est pédophile, qu’il est la complice de l’intéressée (si, si, je l’ai lu aussi dans un commentaire …) ? C’est comme cela, un point c’est tout ? Vous en êtes convaincu(e) ? Non mieux encore : vous en êtes certain(e) ! De l’art de confondre ses croyances avec la réalité des choses … Heureusement que tous les juges ne jugent pas selon leurs croyances parce que, si c’était le cas, il n’y aurait effectivement plus de Justice en Belgique.
PS : non, les avocats n’aiment pas les pédophiles. Ils préféreraient mille fois défendre les parents des malheureuses petites victimes ! Et non, je n’ai aucune envie d’accueillir Michelle MARTIN chez moi. Mais je peux reconnaître l’humanité de celui qui a eu ce courage.
(Source : http://blog-avocat.be/le-juge-christian-panier-est-un-sale-pedophile/ 15 04 2015)
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